Elle mange son tacos en s'en foutant plein les mains, ça coule. Après chaque bouchée elle s’essuie la bouche avec une serviette en papier. Elle parle en même temps, comme une lycéenne, en agitant sa main qui tient la serviette et son autre main qui tient le tacos. Elle parle au type assis en face. Il ne mange pas. Il la regarde avec attention, penché au dessus de la table, les avant-bras croisés sur le rebord. Il regarde sa bouche qui mâche et qui parle en même temps. Il regarde la sauce du tacos qui coule au coin des lèvres et qu'elle essuie en avalant. Il regarde son beau visage doré, ses cheveux rougeâtres qui forment un buisson rond autour de son beau visage doré. Il regarde sa jeunesse. Elle parle. Elle ne fait que parler et manger. Elle ne regarde pas sa vieillesse à lui. Il regarde. Il est vieux, petit, vilain. Il regarde avec concentration. Elle est jeune, belle, sexy. Il l'interrompt pour lui demander si c'est bon. Elle fait oui de la tête et poursuit de parler et de manger. Elle termine et s'essuie la bouche une dernière fois. Il lui demande si elle veut autre chose. Elle ne veut rien. Il lui demande si elle veut une glace. Elle ne veut pas. Il lui demande si elle veut marcher. Elle ne sait pas. Il veut s'assurer qu'elle a tout ce qu'elle désire. Elle ne lui répond pas. Silence. Ils se lèvent. Elle est grande et mince, elle a des cheveux rougeâtres et crépu en buisson. Il est petit et chauve. Il part devant et elle le suit, ils quittent la terrasse en silence. Elle n'est pas sa fille. Elle a mangé avec appétit.
Violence
Elle traverse les rangées d'abricotier pour aller vider son seau à la remorque. En traversant les rangées d'arbres elle le croise. Ils échangent un sourire. Il lui prend le bras avec le sourire. Elle s'arrête. Il lui dit qu'il aime bien ça en touchant son tatouage. Il pose un doigt sur chaque sein de la grosse femme qui est tatouée sous son bras. Il s'en va.
Elle fait du vélo sur la route. Il se met à traverser à pied à quelques mètres devant. Elle fait un large écart pour ne pas lui rentrer dedans. Il dit, salope regarde où tu va. Elle répond qu'il n'y a rien de grave en s'éloignant. Il crie, sale pute va te faire foutre. Il a de la haine dans ses yeux.
Elle aimerait lui parler autour d'une bière mais elle n'ose pas lui proposer.
Elle sait qu'il n'en a pas envie.
Il ne veut pas lui parler.

Silence.

Ils sont assis à fumer des cigarettes.
Elle a l'estomac noué.
Elle se sent toute comprimée à l'intérieur et se dit que cette tension comprime tout l'air autour.
Ils sont assis à fumer des cigarettes.
Elle ne peut pas bouger.
Il semble décontracté.
Elle aimerait parler ou pleurer.
Il ne dit rien.
Elle ne dit rien.
Elle repose sa cigarette.
Elle aimerait disparaître à cet instant.
Trouver du secours, quelqu'un, ou bien se retrancher du monde.
Elle s'endort.
Elle traverse les rangées d'abricotiers pour aller vider son seau à la remorque. En traversant les rangées d'arbres elle ne le croise pas. Elle vide son seau et retourne à la cueillette. Il va vider son seau et passe près d'elle. Il s'approche. En passant à côté d'elle il lui effleure la nuque de sa main. Il poursuit son chemin. Elle tente de poursuivre la cueillette sans montrer qu'elle a l'estomac noué.
Un groupe entre sur la terrasse du kebab. L'adolescent se tient en retrait des parents et des grands-parents, un peu derrière eux. Il a la tête baissée. Il fait des petit piétinements pour se tenir en lisière du groupe.
Il tripote son bracelet.
Personne ne parle.
Ils s'installent à une table.
Il garde la tête baissée.
Elle monte dans la voiture. Il lui demande si elle n'a pas peur, comme ça, toute seule.
Elle fait du vélo sur la route. Il attend au cédez le passage de pouvoir passer avec sa voiture. Elle passe d'abord car il lui cède le passage. Il s'engage à sa suite. Il se rapproche à côté d'elle et de son vélo. Il dit, tu pourrais me dire merci. Elle dit, mais tu attendais au cédez le passage. Il dit, tu serais un mec tu m'aurais dit merci salope. Elle dit, t'avais qu'à passer si t'es pas content. Il dit ferme-la sale pute. Il colle sa voiture au vélo. Elle a peur de tomber. Il crache par la fenêtre passager. Elle reçoit le crachat dans l'oeil gauche et sur la peau du visage. Il la dépasse et poursuit sa course. Elle s'essuie dans sa manche en pédalant.
Il ne lui dit rien.
Elle boit son bol de café. Ils ne disent rien. Elle se lève et fait grincer la chaise sur le carrelage en la remettant en place sous la table. Il s'approche et crie tout en chuchotant - pour ce faire il faut beaucoup de souffle et il devient tout rouge - de ne pas faire de bruit, qu'elle va la réveiller en faisant du bruit avec la chaise. Elle l'ignore. Il s'approche et la frappe derrière la tête. Elle l'ignore et range son bol dans le lave-vaisselle. Il la frappe de nouveau. Elle l'ignore et monte les escaliers. Ils se crient dessus maintenant. Il lui crie d'arrêter de répondre. Elle atteint sa chambre. Il la rattrape et la ramène vers les escaliers. Il la pousse. Elle tombe dans les escaliers mais sans arriver jusqu'en bas. Il lui fait terminer sa descente en la tirant par les pieds puis par les cheveux lorsqu'elle pivote en roulant.
Elle n'arrive pas à parler.
Elle lui répond.
Il la frappe à terre à l'aide de ses pieds.
Elle frappe aussi de toutes ses forces.
Elle se sens en rage et ne se contrôle plus.
Elle souhaite qu'il meure.
Elle voit du sang sur ses mains.
Il la laisse là.
Elle se lève et essuie le sang de ces ongles retournés sur la porte.
Elle s'enferme pour souffler.

Elle refusera de nettoyer : qu'il se démerde.
2016